Luxembourg

Lettre Ouverte

Luxembourg 09.07.2021

Couverture Sanitaire Universelle et propositions faites dans le cadre de la « Ronnen Desch ».

PROPOSITIONS POUR LA COUVERTURE SANITAIRE UNIVERSELLE

LETTRE OUVERTE

Réflexions concernant l’introduction d’une Aide Médicale d’Etat (AME) au Luxembourg – GESONDHEETSHELLEF

 

1. Introduction

Le Luxembourg dispose d’un système d’assurance maladie très développé et très étendu couvrant la grande majorité de la population résidante, voire de nombreux non-résidents (travailleurs frontaliers et pensionnés résidant à l’étranger, anciens travailleurs au Luxembourg).

Cette large couverture est réalisée grâce à l’assurance obligatoire de toutes les personnes exerçant une activité professionnelle ou une activité assimilée au Luxembourg et de tous les bénéficiaires d’une pension ou rente luxembourgeoise ou d’un revenu de remplacement lorsqu’ils résident au Luxembourg. Cette couverture est complétée par la coassurance des membres de familles (conjoint, partenaire, enfant) pour autant qu’ils résident au Luxembourg. Finalement sont également assurés obligatoirement à charge de l’Etat les enfants mineurs et les infirmes résidant au Luxembourg pour autant qu’ils ne bénéficient pas d’une protection à un autre titre.

Les personnes résidant au Luxembourg qui ne peuvent bénéficier autrement d’une protection en matière d’assurance maladie ont la faculté de s’assurer volontairement (avec une période de carence de trois mois) sous réserve du paiement d’une cotisation (environ 120 euros par mois). Du moment que les personnes ont une résidence légale au Luxembourg mais qu’ils n’ont pas les moyens pour payer la cotisation, elles peuvent bénéficier de la prise en charge des cotisations par l’Office social de leur commune de résidence (article 7, alinéa 7 de la loi du 18 décembre 2009 organisant l’aide sociale).

Cependant il subsiste des personnes au Luxembourg qui n’ont pas accès à l’assurance obligatoire ou à l’assurance volontaire et restent donc exclues de l’accès aux soins.

Cet accès aux soins médicaux permettra une prise en charge précoce des maladies et assurera des suivis adaptés pour les maladies chroniques de sorte qu’il sera possible de prévenir des dégradations évitables et donc de diminuer des prises en charge en urgence ou stationnaires. De même il faudra garantir un accès aux soins préventifs, tels les programmes de détection précoce des cancers, de prévention des maladies infectieuses, d’accès aux contraceptifs et d’accès aux vaccinations.

L’amélioration de l’accès aux services du système de santé ne constitue pas seulement un apport à la prise en charge individuelle des personnes actuellement exclues, mais constitue en fait un apport très important pour la santé publique de toute la collectivité.

En outre, des modélisations effectuées dans différents pays européens ont montré que l’offre de soins réguliers et préventifs par opposition aux seuls traitements d’urgence s’avèrent moins couteux pour le système de santé dans son ensemble.

La question posée est donc comment garantir un accès aux soins aux personnes exclues de l’assurance maladie.

A cet effet, il y a lieu de s’inspirer de l’Aide médicale de L’Etat existante en France.

 

2. Quelle peut être l’organisation de l’AME ?

La finalité de l’AME est de garantir un accès aux soins des personnes en situation administrative, financière et humaine, précaire et exclues de l’assurance maladie, tout en protégeant le reste de la population en donnant accès à la prévention et en évitant la propagation de maladies contagieuses.

Comme l’assurance maladie existe au Luxembourg depuis plus de 100 ans sous forme d’une assurance sociale, et en raison d’une population peu nombreuse qui en reste exclue, il ne paraît guère concevable de mettre en cause cette structure d’organisation.

Il faut donc prévoir une structure complémentaire à l’assurance maladie pour la prise en charge des prestations de soins de santé des personnes exclues de l’assurance maladie obligatoire et qui ne remplissent pas les conditions de l’assurance volontaire (défaut de résidence légale ou d’adresse de référence, pas de ressources pour payer la cotisation).

A cet effet nous proposons de créer une nouvelle prestation sociale dénommée « Aide médicale de l’Etat » ( AME – Gesondheetshellef) financée par l’Etat et dont le budget serait indépendant de celui de la sécurité sociale. Cette prestation sociale correspondrait en principe aux remboursements des prestations en nature aux personnes éligibles de l’AME d’après les tarifs prévus par les statuts de la CNS.

Toutefois afin d’éviter de créer de nouvelles structures administratives pour une population somme toute assez restreinte, l’idée fondamentale consiste à déléguer le travail administratif à la CNS et de prévoir le remboursement des charges (soins de santé, frais administratifs) à la CNS par l’Etat.

Les personnes bénéficiaires de l’Aide médicale de l’Etat (AME) seraient enregistrées auprès de la CNS au titre de l’AME, mais sans versement de cotisations. Elles bénéficieraient d’une carte d’identification émise par le Centre commun de la sécurité sociale.

Les prestations payées par la CNS pour le compte de ces personnes seraient remboursées à la CNS par l’Etat sur base d’un décompte individuel au titre de l’AME.

A ce moment, les charges résultant de l’AME n’impactent pas l’équilibre financier de la CNS et le coût intégral des soins de santé des bénéficiaires de l’AME est à charge de l’Etat. Les personnes relevant de l’AME seraient traitées de la même manière que les assurés de l’assurance maladie sans pour autant être assurés auprès de l’assurance maladie. Leur droit aux prestations serait limité aux prestations dispensées au Luxembourg. Leur carte d’identification ne comportera pas de face européenne (EHIC).

 

3. Personnes concernées

En tenant compte du fait que les personnes n’ont pas accès à l’assurance volontaire facultative à charge des offices sociaux, il faut partir du principe que ces personnes n’ont pas d’adresse dans une commune au Luxembourg (ni adresse légale, ni adresse de référence) ce qui peut provenir du fait qu’elles sont en situation irrégulière au Luxembourg ou simplement qu’elles ne disposent pas d’un domicile officiel dans une commune (sans-abri). Ne sont pas concernés les DPI qui relèvent d’office de l’ONA, ni les BPI qui disposent d’un titre de séjour au Luxembourg. En revanche peuvent être concernées les déboutés du droit d’asile, les demandeurs d’asile en procédure Dublin et plus généralement des étrangers européens ou de pays tiers qui ne sont pas demandeurs d’asile mais qui ne disposent pas d’autorisation de séjour.

 

4. Critères à remplir pour avoir un droit à l’AME
4.1. Présence régulière au Luxembourg.

Compte tenu de l’exiguïté du territoire du Luxembourg et de la gratuité des transports, il faut définir des conditions minimales pour être éligible au titre de l’AME.

A l’instar de l’AME française, on peut proposer une présence de 3 mois au Luxembourg. Cependant ne seraient pas compris dans cette période les trois mois résultant d’un visa de tourisme.

Pendant les trois premiers mois de séjour au Luxembourg, les personnes concernées peuvent, en cas de besoins de santé, s’adresser aux associations en place : MdM, Croix-Rouge, Caritas, Stëmm vun der Strooss….

Le droit aux prestations commence directement avec l’octroi de l’AME puisque le délai de carence de trois mois prévu par l’assurance facultative est déjà couvert par les trois mois de séjour sans droit aux prestations.

Pour justifier la présence de trois mois au Luxembourg, on peut se baser sur les éléments suivants :

  • Passeport avec date d’entrée
  • Certificat de résidence
  • Contrat de location ou quittance de loyer sur une période de 3 mois, autres factures liées au logement (gaz, électricité, eau, téléphone, …)
  • Attestation de logement ou d’hébergement établie par personne privée ou par ONG ou par autre institution
  • Attestation de prise en charge par ONG (MdM, Caritas, Croix Rouge, Abrigado, ASTI,…) pour soins et services reçus régulièrement
  • Attestation pour paiement de cotisations pendant 3 mois à l’assurance facultative volontaire avec adresse de correspondance

 

4.2.  Ressources

Ne pas disposer de ressources supérieures à un certain seuil (à définir en fonction du REVIS)

Remarque : Le Fonds national de solidarité FNS est une des seules administrations de l’Etat outillée pour effectuer une enquête sur les ressources des personnes notamment dans le cadre de l’attribution du REVIS ou d’autres prestations dépendantes des ressources. Il serait donc indiqué d’attribuer la tâche de contrôle du droit à l’AME au FNS qui en ferait la communication au CCSS aux fins de l’édition de la carte d’identification de la sécurité sociale.

 

4.3 Durée de l’AME

L’AME serait accordée pour une durée de 6 ou de 12 mois. Cette AME pourra être prolongée de nouveau pour une même période après un contrôle de la situation de la personne au Luxembourg (séjour, situation de revenus)

4. Le tiers payant social

Comme le bénéficiaire de l’AME est supposé n’avoir presque pas de ressources personnelles, il faut également lui ouvrir le droit au tiers payant social. Comme le tiers payant social est actuellement organisé par l’intermédiaire des 30 offices sociaux et se limite des lors aux résidents avec un domicile légal dans une commune du Luxembourg, les bénéficiaires de l’AME sont de facto exclus.

Il sera donc nécessaire de prévoir une structure ad hoc au niveau de l’Etat pour attribuer le tiers payant social aux bénéficiaires de l’AME, comme par exemple le FNS qui serait également à même de prendre en charge la participation statutaire du bénéficiaire de l’AME.

5. La situation du bénéficiaire de l’AME (non stigmatisation)

Le bénéficiaire de l’AME ne sera pas un assuré au sens strict de l’assurance maladie. Il ne payera pas de cotisations à l’assurance maladie et les prestations de soins de santé ne seront pas à charge de l’assurance maladie.

Toutefois, du point de vue administratif, il sera enregistré auprès de la CNS sous une catégorie particulière, à savoir les bénéficiaires de l’AME, et il bénéficiera également d’une carte d’identification de la sécurité sociale émise par le CCSS. Cette carte d’identification sera identique à celle des assurés à l’assurance maladie (sous réserve qu’elle ne disposera pas de face européenne à l’instar de certains assurés étrangers où la CNS ne joue que le rôle d’institution du lieu de séjour – Aushelfender Träger).

Les prestataires de soins ne pourront donc pas distinguer les bénéficiaires de l’AME des assurés obligatoires ou volontaires de l’assurance maladie.

Au niveau de la politique de la santé, toutes les actions du Ministère de la santé (prévention, vaccination, etc.) devront s’adresser tant aux assurés de l’assurance maladie qu’aux bénéficiaires de l’AME.

Toutefois, à part l’absence de cotisations, il ne sera pas possible d’accorder au bénéficiaire de l’AME davantage de droits qu’aux assurés normaux. Aussi convient-il de de combler les lacunes existant au niveau du tiers payant social pour tous les assurés disposant de faibles ressources et non seulement pour les bénéficiaires de l’AME.

 

Voici la lettre commune envoyée :

Luxembourg, le 29 juin 2021

LETTRE OUVERTE

 

Madame Corinne Cahen, Ministre de la Famille, de l’Intégration et à la Grande Région

Madame Paulette Lenert, Ministre de la Santé

Monsieur Jean Asselborn, Ministre de l’Immigration

Monsieur Romain Schneider, Ministre de la Sécurité Sociale

 

Concerne: Couverture Sanitaire Universelle

 

Mesdames, Messieurs les Ministres,

 

Les soussignés apprécient les efforts menés par le gouvernement pour lutter contre la pandémie du COVID.

Le souci des plus démunis a fait partie de vos préoccupations et nous vous en remercions.

La pandémie a cependant aussi fait ressortir l’impossibilité ou les obstacles pour l’accès aux soins de certaines parties de la population résidente.

Le concept de couverture sanitaire universelle a amené les soussignés, réunis dans le groupe de travail d’expert du terrain SANTE du RONNEN DESCH, à analyser la situation et à faire des propositions concrètes.

Comme l’accord de coalition évoque un accès universel et solidaire aux soins de santé, les soussignés se permettent de vous faire part de leurs considérations.

 

La prise en charge de l’assurance maladie par l’État des mineurs est garantie par la convention des droits de l’enfant. Ce droit est consacré dans notre législation. Toutefois, il s’interrompt à l’âge de 18 ans.

Par contre, la prise en charge des jeunes de moins de 25 ans non scolarisés et non bénéficiaires du REVIS n’est pas garantie. Il en est de même des déboutés du droit d’asile, des personnes en attente d’un transfert DUBLIN ou des personnes sans inscription au registre principal des personnes physiques et sans adresse de référence. La situation des personnes sans couverture d’assurance maladie doit trouver une issue.

De même, les personnes en situation de séjour irrégulier relèvent du souci de santé publique. Comme vous l’avez lu, nous avons indiqué des pistes existantes, telle la « Gesondheetshëllef »: une mesure qui permettrait la prise en charge des personnes vivant au Luxembourg, mais vulnérables et exclues de l’assurance maladie.

Le volet du tiers payant semble progresser et nous nous en félicitons.

Vous trouverez, joint à ce courrier, l’ensemble des recommandations que nous proposons en faveur de la mise en place de la Couverture sanitaire universelle au Luxembourg.

Nous avons eu l’occasion de discuter ces propositions avec l’AMMD, l’Entente des Offices Sociaux, le LCGB, l’OGBL, la Patientevertriedung et l’UEL en y recueillant à chaque fois un écho très positif.

Nous avons eu aussi l’occasion de vous les présenter de vive voix, respectivement à vos services: une fois encore un accueil très favorable leur a été réservé.

Une approche globale de la santé pour tous doit également comprendre le traitement des traumatismes tout comme l’interprétariat dans les services sociaux et de santé, de même que des services d’écrivain public permettant à des populations fragiles de comprendre et de s’exprimer.

 

Le moment d’agir est arrivé

 

Nous sommes bien conscients que vos efforts se sont concentrés sur la lutte contre la pandémie. Comme nous pensons que la lutte contre la covid-19 et l’instauration d’une couverture de santé universelle sont des mesures complémentaires, nous souhaitons remettre ce questionnement au centre des débats.

Et nous réaffirmons par la présente notre volonté et disponibilité à contribuer à la mise en place de l’éventail des mesures pouvant garantir un accès aux soins pour toutes et tous.

 

Veuillez agréer, Mesdames, Messieurs les Ministres, l’expression de nos salutations très distinguées.

 

 

Ainhoa Achutegui, Planning Familial

Cassie Adelaide, Passerell

Dr Guy Berchem, Médecins sans frontières

Nadine Conrardy, Croix Rouge Luxembourgeoise

Marc Crochet, Caritas

Carole Devaux, comité de surveillance du SIDA, des hépatites infectieuses et des maladies sexuellement transmissibles

Christine Garnier, Centre LGBTIQ+ CIGALE

Serge Kollwelter, Ronnen Desch

Sosthène Lembella, Comité de Liaison des Associations d’Etrangers

René Meneghetti, Suchtverband

Raoul Schaaf, Comité National de Défense Sociale, European Anti Poverty Network – Letzebuerg

Dr Bernard Thill, Médecins du Monde

Laura Zuccoli, Association de Soutien aux Travailleurs Immigrés.